Laurent : dans le Quercy, il remonte des murs en pierre sèche

Laurent est ce que l’on appelle un caussenard pur souche. Il est né dans le Lot, il a grandi près de Rocamadour et il s’est ancré au cœur des causses du Quercy. Sa passion : la pierre sèche ! Ce murailler travaille comme animateur nature pour le département du Lot. Il forme des groupes de jeunes en réinsertion à la construction en pierre sèche, une technique ancestrale connue de quelques initiés seulement.

Lorsque les muraillers des causses du Quercy bâtissent un muret en pierre, ils utilisent d’abord des pierres issues d’anciennes constructions. Puis ils vont chercher le reste aux alentours, en pleine nature. Laurent m’explique qu’il lui arrive d’épierrer des pelouses sèches juste pour bâtir des murets. Et sa plus belle récompense, c’est lorsque cela passe totalement inaperçu et que les promeneurs pensent que ces murets sont ici depuis toujours.

J’ai extrait de la pierre. J’ai rebâti avec de la pierre neuve. Et les gens me disaient : mais monsieur, ce ne sont pas de vrais murs ! Comment ça, mais pourquoi ce ne sont pas de vrais murs ? Parce qu’ils ne sont pas gris ! Ah bon ? Mais vous saviez que la pierre du Lot n’est pas grise ? Ah si, monsieur, elle est grise, on a toujours vu la pierre grise ! Non, vous avez vu de la pierre qui est bâtie depuis plusieurs décennies, qui a grisé, sur laquelle se sont déposés des lichens, et qui a évolué avec le temps.

La pierre du Lot n’est pas grise. Au contraire, elle est blanche, rouge ou orange. Elle est ocre. Elle est jaune. De nos jours, elle a pris une couleur grise parce qu’elle a été bâtie. Les murets que l’on peut observer dans la Braunhie ont environ 20 ans voire plus. Au moment de leur construction, ils étaient blanc et avec le temps, ils ont viré au gris.

Découvrir la forêt de la Braunhie

Avec ses équipes, Laurent ne travaille qu’à partir des matériaux locaux. Il se retrouve ainsi exactement dans la même position que les gens qui ont bâti ces murs avant lui. Il se réapproprie une technique ancestrale aujourd’hui presque disparue. Si vous demandez à un maçon d’effectuer le même travail avec les mêmes matériaux, il sera incapable de le faire. Il n’obtiendra pas le même résultat, parce qu’il n’a pas les mêmes techniques. Le murailler, celui qui travaille la pierre sèche. Ce n’est pas maçon, c’est un murailler ! Le maçon, il travaille différemment. Il y en a un qui colle la pierre et l’autre qui la bâtit à sec. Ce n’est pas le même métier.

Nous, on bâtit avec des matériaux qui sont des boules, qui sont informes, on dirait des éponges de mer. C’est troué, c’est cassé, ça n’a pas de face. C’est l’œil, c’est la main, c’est le savoir-faire qui font la différence.

Pour Laurent,  quand on va arracher la pierre, qu’on fait soi-même sa chaux, on revient finalement vers un système où on reprend contact avec les éléments, avec les matériaux ! Un superbe exemple de ce type d’expérience en France, c’est le château de Guédelon. Une équipe a tenté de rebâtir le monument à partir des textes et des archives d’archéologues. Et ils se sont aperçus qu’il y avait des erreurs. Quand on est sur le terrain, on sait qu’on ne peut pas faire comme les archéologues l’avaient écrit.

Laurent travaille sans fil à plomb et sans niveau. Il n’a jamais mis de cordeau sur les murets. Il va tracer un trait au sol, donner une épaisseur et commencer à bâtir. Selon lui, la ligne droite n’existe pas dans la nature. Le droit, c’est quelque chose qui a été inventé par l’homme pour faciliter le travail. Quand il reconstruit un mur dans la nature, il ne cherche pas des niveaux. Il ne cherche pas d’aplomb. Il applique une technique et après, il suit les courbes naturelles.

Portrait de Laurent : caussenard amoureux des pierres sèches

Je m’appelle Laurent Clavel, je suis né à Rocamadour. J’y ai vécu 30 ans. Je suis né sur le causse, je suis un caussetier comme on dit, ou un caussenard, ça dépend. Je ne peux vivre qu’ici. Je suis comme les cailloux, je ne bouge pas beaucoup. Je suis vraiment attaché à ce territoire, aux odeurs, au soleil, au calcaire, aux falaises, aux rivières. Je pense que quand on naît ici, on a du calcaire qui coule dans les veines. Il faut être honnête !

Les causses du Quercy : des espaces vierges et très peu peuplés

Aujourd’hui en Europe, près de 80 % de la population vit en ville. Pour Laurent, cette vie urbaine peut mener vers une perte de ses racines et de son identité. Ce n’est pas le cas à la campagne.

Par endroit, les causses du Quercy sont presque des déserts humains. En France, la densité de population moyenne est de 105 habitants au km². Dans le Lot, on trouve des communes où l’on compte seulement cinq habitants au km². Autant dire qu’il y a de l’espace et une vraie qualité de vie. La difficulté dans le département, c’est plutôt la perte de population qui est parfois importante. Pour autant, le territoire est plein de vie et attire des néo-ruraux en quête d’espaces naturels et de liberté.

Souvent, les gens me disent : mais vous partez ou en vacances ? Je dis : moi, je reste ici ! Mais  quand je vois le monde qui vient, c’est que ça doit être bien. Voilà, c’est une qualité de vie. C’est la nature !

Le causse à énormément évolué et changé de toponymie au cours du siècle dernier. Avant la Première Guerre Mondiale, il a été exploité au maximum, que ce soit par l’être humain, les animaux ou la végétation. Tout a été consommé. On est sur un territoire très pauvre où les gens ne vivaient pas comme aujourd’hui. Ils habitaient dans des petites maisons. Ils passaient leur journée à l’extérieur et ils ne rentraient que le soir pour ne pas mourir de froid.

A partir de la Première Guerre mondiale, on assiste à une première vague de départ. Certaines parcelles sont alors abandonnées et la végétation commence à repousser. Avec l’arrêt de l’agriculture et de l’élevage, le département va se réembroussailler. La végétation va ainsi reprendre le dessus. Aujourd’hui, le territoire est vraiment différent et pour conserver une biodiversité, on est obligé de rouvrir les espaces naturels.

Découvrir le PNR des Causses du Quercy

A travers la forêt de la Braunhie : un écosystème rare à protéger

La Braunhie est un grand massif calcaire recouvert de bois de chêne pubescent, des petits arbres qui font 5 à 6 mètres de haut. On y trouve essentiellement de la végétation rase, typique des milieux très secs. On pourrait comparer ce territoire à un gros morceau de calcaire, perforé comme un morceau de gruyère.

Fleuron du Parc Naturel Régional des Causses du Quercy, cet espace naturel sensible est très peu urbanisé. Il n’y a pratiquement aucune maison qui soit construite sur plus de 2500 hectares. Ce massif calcaire est protégé car il est encore très naturel, voire même sauvage par endroit. Aujourd’hui, on y trouve à nouveau de l’agriculture, essentiellement du pâturage. C’est le territoire de la brebis caussenarde.

Même si au premier regard, ce sont des milieux pauvres avec de la végétation rase et un aspect un peu désertique, c’est un territoire très riche, avec une flore et une faune exceptionnelle. C’est notamment un habitat idéal pour les lézards ocellés qui, aujourd’hui en France, sont beaucoup plus rares que les lézards verts.

Dans la Braunhie, on peut également observer de nombreux oiseaux qui nichent au sol. On y trouve donc une faune et une flore particulière et rare, comme par exemple l’hélianthème des Apennins ou encore l’orchidée singe, ou Orchis Signa. Mais aussi une grande quantité de petites plantes ou de petites fleurs qui ne poussent que sur des milieux secs. On se trouve sur une dalle calcaire, où le rocher affleure et qui est typique de la pelouse sèche.

L'orchidée singe des causses du Quercy

Tous ces paysages ont été sculptés par l’homme et ont toujours été entretenus par l’homme, depuis qu’il est devenu agriculteur. La réouverture du milieu a permis à la biodiversité de se développer. Et elle disparaîtrait en partie si cette zone redevenait un bois. Aujourd’hui, le Lot est encore un des rares départements où ce type d’écosystème subsiste.

Le Quercy est également un terrain de jeu idéal pour la spéléologie, parce qu’il y a énormément de gouffres que l’on appelle ici des igues. A l’entrée du gouffre de Planagrèze, on se rend réellement compte de la spécificité géologique des causses. Ce gouffre plonge directement au cœur du calcaire. Il va descendre sur 110 mètres jusqu’à atteindre une petite rivière souterraine, puis l’igue s’enfonce encore sur 80 mètres.

Le causse central de la Braunhie est ainsi devenu un hotspot de la spéléologie française. Il y a de nombreuses gouffres et grottes à explorer. Ses sous-sols peuvent être comparés à un gros château d’eau, où l’eau va se stocker dans des diaclases, dans des lacs souterrains, dans des rivières. Et quand il y a trop d’eau et qu’il pleut, elle va alors alimenter des rivières et des sources intermittentes. Par exemple ici, à Planagrèze, les eaux de ruissellement vont alimenter une rivière qui s’appelle Louls et elle ressort au niveau du gouffre de Saint-Sauveur.

Quand le Drac murmure sous la terre

Dans la mythologie locale, les gouffres et les grottes ont toujours fait peur. Pour les anciens, c’est l’endroit où vit le mal, où la mort rôde et où le Drac (le démon) se tapit. Le Drac, c’est le monstre qui vit dans les grottes. C’est une espèce de diable souterrain qui hantent les cavités sombres. A une époque, on jetait même les animaux malades morts dans ces gouffres pour qu’ils disparaissent et éloignent le mauvais œil.

Ces légendes, comme toutes les légendes, ont fond de vérité. Il y a des fées qui existent. Il y a un imaginaire souterrain. Ces grottes font parfois du bruit. Le réseau souterrain va se charger à gaz, chasser l’air qu’il y a à l’intérieur. Et ça va ressortir par des fissures, du calcaire et émettre des bruits sourds. Mais pour les anciens, c’est bien le Drac qui grogne, qui n’est pas content. La légende est là…

Ecoutez l’histoire de Laurent dans le podcast La France Baladeuse

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