Dernier voyage en Alsace

Ce voyage en Alsace, je ne l’avais pas prévu, encore moins voulu. Il s’est imposé à moi comme un fardeau. Des billets pris en une minute sur internet, un vol direct le lendemain matin. Et un sacré décalage en arrivant à l’aéroport de Bâle, directement depuis Barcelone où je venais de m’installer trois semaines plus tôt.

Retour à Guebwiller

Je grimpe dans la mini de mon oncle, venu me récupérer au pied de la tour de l’Europe à Mulhouse, et nous voici partis en direction du Florival, qui s’étire au pied du Grand Ballon. Guebwiller en est la porte d’entrée. A chaque fois que je retourne dans cette ville, celle de mon enfance, je suis toujours pris de ce même sentiment étrange, un mélange d’excitation et de nostalgie où les émotions et les souvenirs se bousculent à toute vitesse. C’est quelque chose qui te prend aux tripes, qui te retourne l’estomac. J’y ai vécu sans la vivre, je la reconnais sans la connaître vraiment, j’arpente ses rues sans m’y sentir réellement chez moi. Et pourtant elle a une place particulière dans mon cœur. Je me souviens de la joie, étant enfant, quand nous lisions sur les panneaux de l’autoroute le nom de Guebwiller. Il signait la fin d’un long voyage en voiture de plus de dix heures, depuis le sud de la France. L’excitation montait et puis nous savions que ma grand-mère nous attendait, et qu’elle avait déjà mis au four la tourte vigneronne que nous avalerions en dix minutes, à peine descendus de la voiture.

vue de guebwiller

Guebwiller n’est certainement pas la plus belle ville d’Alsace, mais elle a quelques attraits, à commencer par ses églises en grès rouge qui m’ont toujours impressionné. Saint Léger d’abord, où nous venions enfants pour la messe de minuit, et où j’aimais me rendre avec ma grand-mère, pour allumer un cierge. Je ne comprenais pas la symbolique évidemment, puisque ni elle ni moi n’étions croyants. Peu importe, cela m’amusait et puis c’était tout. Notre Dame fait figure d’ovni dans une ville de la taille de Guebwiller. Elle suscita même la perplexité de plus d’un historien de l’art, incapables d’expliquer ce curieux mélange de baroque et de néo-classique.

Ce que j’aime particulièrement ici, ce sont toutes les anciennes manufactures textiles dont on trouve encore certains vestiges en tirant vers Buhl. Des bâtiments en briques rouges, typiques de l’architecture industrielle avec leurs larges cheminées rondes et leur charpente en acier. J’ai retrouvé ce même type de bâtiments à Barcelone, dans le quartier de Sants. Ils me plaisent par leur parfaite symétrie et leur géométrie cubique. Mais surtout une fois à l’intérieur, j’aime cette lueur si particulière qui transperce les vitres jaunies et qui dévoilent par portion la pièce, entre ombre et lumière.

En venant à Guebwiller, il faut absolument prendre de la hauteur pour admirer la vue sur la colline de Schimberg et la croix de mission, où les vignes de Schlumberger s’étirent jusqu’à la pointe sud, sous un chapeau de sapins.

Je n’étais plus revenu à Guebwiller depuis l’été précédent, quand nous avions entrepris avec ma sœur une série de ballades dans la ville, que nous appelâmes « Itinéraire de notre enfance ». Une boucle qui partait de l’école de la rue des Francs pour remonter vers le cimetière militaire, puis le jardin d’été aujourd’hui auberge du Vallon, où nous venions jouer l’été, pour se terminer vers le parcours sportif. Voilà à peu près ce qu’il nous restait de cette ville…

Courte pause à Colmar

En arrivant à Colmar en cette fin de mois de juillet, je me rendais compte que je n’avais ici encore quasiment aucun souvenir de la ville. Sauf peut-être la kilbe qui avait lieu place Scheurer-Kestner, et bien évidemment le marché de Noël. Je redécouvrais avec plaisir les petite rues de la vieille ville et les maisons à colombages, sorte de demeures de poupées, aux airs de décor de conte de fée.

marche couvert colmar

Nous descendons la rue des Augustins en direction de la place de l’Ancienne Douane, où se tient un petit marché d’artisans. Les terrasses sont combles, devant nous un groupe de touristes avance au pas de course, pour suivre une visite guidée minutée à travers un dédale de ruelles pavées, qui courent sous les toits pentus des anciennes demeures de la ville. Nous débouchons sur les bords de la Lauch, au niveau du marché couvert, une grande halle en briques et pierres taillées, imaginées par Louis-Michel Boltz au XIXème siècle. Nous voici bientôt dans le quartier que l’on appelle la Petite Venise, parce qu’il est traversé d’une multitude de petits canaux. Encore des colombages et des géraniums, indissociables de l’Alsace. Nous atterrissons dans un wistub, le Krutenau, qui sert de la bière et des tartes flambées. L’ambiance est assez électrique, surtout du côté des bateliers que l’on entend grommeler. L’un d’eux paraît même plus qu’agacé, insultant les touristes qui ne sont pas là à l’heure, pour le départ de la balade en barque. On a tout de suite envie d’embarquer avec lui.

Colmar est une ville éminemment représentative de l’Alsace historique et pittoresque. Située en bordure de vignoble dont elle a la malice pétillante, face à l’attrayant panorama des Vosges dont elle est amoureuse, Colmar reste pour la plupart des grands voyageurs la plus alsacienne des villes d’Alsace.

Pierre Schmitt, Charmes de l’Alsace

Voici devant nous la collégiale Saint Martin, immensité gothique avec ses triptyques et ses évangélistes, construite encore en grès, comme la plupart des église d’Alsace. Plus loin nous découvrons l’ancien hôpital, édifié dans le style Louis XV, et le square de la Montagne Verte avec son immense Sophora du Japon. Nous terminons la balade en passant par la place des Dominicains et son ancien couvent, avant de reprendre la route pour Guebwiller.

Itinéraire vosgien

Le samedi après-midi, nous reprenons la route pour Lapoutroie dans le pays d’Orbey. Un coin que je connais un peu pour y avoir séjourner durant un mois, à l’occasion d’un stage dans un institut pour enfants handicapés, au lieu-dit les Allagoutes. Et puis plus bas, il y a Kaysersberg où l’on venait quelque fois à Noël.

Nous avons pris une chambre à l’hôtel du Faudé, dans le centre du village, un petit établissement prisé des retraités, nombreux à prendre leur vacances dans la région. L’endroit n’a pas vraiment grand intérêt, les chambres sont classiques et sans vraiment de charme. Il y a une piscine intérieure, chauffée, tellement chauffée d’ailleurs qu’on se croirait dans les îles. On étouffe même dans l’eau qui doit avoisiner les trente degrés. Nous barbotons sous l’œil méfiant d’un couple de sexagénaires, peu disposés, semble-t-il, à supporter la moindre agitation.

coucher soleil vosges

Le soir, nous avons réservé une table à la ferme auberge de la Graine Johé, sur les hauteurs, au-delà du Col du Bonhomme. La nationale file droit jusqu’au village du Bonhomme puis, sur la droite, attaque des pentes ardues et s’entortille en lacets jusqu’au col de Bagenelles qui offre une vue splendide sur toute la vallée de la Lièprevette. Paysages impressionnants d’alpages et de petites fermes, puis plongée dans des vallées encaissées, à la lumière du soleil tombant. Nous descendons de voiture, près d’un camping-car, une femme au regard noir et à l’air peu engageant, nous observe sans un mot. Un petit chemin à flan de montagne conduit jusqu’à la ferme auberge, une grande bâtisse typiquement vosgienne avec son toit à triple pente et sa façade recouverte d’ardoise. Au menu ce soir, escalope de veau au Munster, Presskopf et Bibalakas, le tout portionné à l’alsacienne, ce qui signifie que nous aurions facilement pu partager le repas avec quatre ou cinq convives de plus.

Le lendemain matin, nous grimpons en direction de la Goutte, jusqu’au logis du Bouton d’Or. Onze heures sonne et toute l’équipe partage un déjeuner avant le début du service. Compliqué de boire un café en terrasse visiblement, alors que nous repartons l’aubergiste nous rappelle : « Restez ! Je vous les fais vos cafés ! ». La terrasse offre une vue spectaculaire sur les alpages et les prairies, et tout en bas le village de Lapoutroie. La lumière y est incroyable et le contraste saisissant, entre le bleu du ciel est le vert intense des forêts de sapins.

En toutes saisons, les forêts sont magnifiques. Lorsqu’il fait chaud, les sapins se teintent d’un vert sombre ; en hiver, ils se recouvrent d’un manteau de neige, ou éclatent des milles feux de leur dentelle de givre. C’est dans les Vosges, nous disent les folkloristes avertis, qu’on a coupé les premiers sapins, déjà parés et scintillants pour les fêtes de Noël

Pierre Schmitt, Charmes de l’Alsace

Nous redescendons dans la vallée en empruntant la petite route qui mène jusqu’au Surcenor, pour rejoindre Orbey et la route du lac Blanc. Le lac, domestiqué par l’homme, est encerclé de rochers abruptes qui lui donnent une physionomie particulière. Non pas qu’il soit beau, il est plutôt assez étrange par sa forme et la couleur de l’eau, sombre et verte, parfois noire, due à son extrême profondeur. Nous filons vers le col de la Schlucht pour emprunter la route des crêtes au niveau du Hohneck et suivre la ligne bleue jusque dans la vallée de Florival. Sur le haut des pentes de la vallée de la Thur, on s’élance en parachute au-dessus du lac de Kruth-Wildenstein. Randonneurs et familles sont nombreux dans les fermes auberges du coin, à profiter du soleil de ce dimanche après-midi.

parapente vosges

Nous rejoignons bientôt la station du Markstein, bien remplie en cette saison, puisque comme dans les Alpes, ont peut y dévaler les pistes en VTT ou bien faire de la luge d’été. Plus loin, avant de redescendre dans la vallée, voici le lac du Ballon où nous venions avec ma grand-mère manger des carpes frites ou de la tarte aux myrtilles. La route s’enfonce maintenant dans la forêt domaniale de Guebwiller avant de traverser Linthal puis Lautenbach pour redescendre dans le Florival…

Pour ma grand-mère


Cet article participe au rendez-vous En France Aussi, organisé par Sylvie du blog Le Coin des Voyageurs.

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Cet article a 6 commentaires

  1. Mitchka

    j’ai beaucoup aimé ton texte, je me suis vraiment reconnue dans ces lignes  » J’y ai vécu sans la vivre, je la reconnais sans la connaître vraiment, j’arpente ses rues sans m’y sentir réellement chez moi. Et pourtant elle a une place particulière dans mon cœur. » je crois que ces lieux que nous avons vécu/traversé quand nous étions enfants, sans jamais les choisir, tiennent une place complexe dans notre vie… c’est très bien écrit. merci pour ce beau partage.

    1. Et oui, l’Alsace est belle même si je ne sais pas si je pourrais y retourner un jour pour m’y installer ! L’avenir le dira…

    1. 🙂 Merci beaucoup ! Effectivement c’est un itinéraire assez magnifique que je refaisais pour la première fois depuis mon enfance…

  2. Sylvie

    ton article se lit comme on lirait un livre… Une belle région sans aucun doute que j’aimerais bien découvrir un jour.

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